Translate

vendredi 17 juin 2011

Les raisons d'un vote

La “vague orange” qui a déferlé sur le Québec lors de l’élection fédérale du 2 mai dernier a étonné nombre de chercheurs et de chroniqueurs. Certains ont même parlé de vote “léger” ou incompréhensible de la part des Québécois. Toutefois, les récents sondages ont montré que les Québécois maintiennent des intentions de vote similaires à leur vote du 2 mai. Entre temps, d’autres événements sont survenus, entre autres au Parti Québécois, qui rendent encore plus impératif de comprendre ce qui s’est passé le 2 mai, y compris l’impact possible de la progression du NPD sur la suite des choses. Nous avons mené une enquête post-électorale auprès des répondants à l’enquête par panel Internet de Crop, celle-là même qui avait “annoncé” que le NPD passait devant le Bloc Québécois dans les intentions de vote le 21 avril dernier. Des 1000 répondants d’origine, 715 ont collaboré à l’enquête menée entre le 18 et le 31 mai. Nous leur avons demandé quel avait été leur vote en 2011 et en 2008, et quelle était la principale raison qui expliquait leur vote de même que l’influence des sondages sur leur décision. Ce sondage comprend également des informations sur l’appui à la souveraineté et le vote au provincial. Comme il s’agit d’un échantillon non probabiliste toutefois, les résultats doivent être interprétés avec prudence et demanderaient à être validés. J’ai pondéré les résultats pour qu’ils reflètent le vote effectivement enregistré le 2 mai.

Qui a changé? Quand? Pourquoi?


Les données permettent de dégager une typologie des voteurs selon leur vote en 2008, leur intention de vote avant le 21 avril et leur vote final. Les stables, soit ceux qui ont déclaré avoir voté de la même manière en 2008 et en 2011 et qui avaient également l’intention de voter pour le même parti durant la campagne ne constituent que 27% de l’ensemble des répondants. Près de la moitié d’entre eux sont des électeurs du Bloc. En fait, le Bloc n’a fait aucun “recrutement”: les Bloquistes de 2011 avaient presque tous voté pour le Bloc en 2008. Ils se démarquent par une volonté de défendre les intérêts du Québec, par une auto-identification comme souverainiste et par un vote guidé par l’habitude: “j’ai toujours voté pour le Bloc”. Les voteurs stables NPD, quant à eux, se distinguent par une volonté de changement, les stables Conservateurs par leur appréciation du gouvernement Harper et enfin, les stables Libéraux par un appui à un candidat.

Passons maintenant aux transfuges vers le NPD. Lors du sondage de mi-campagne, environ le tiers des répondants qui avaient voté pour le PC ou pour le PLC en 2008 indiquaient vouloir voter NPD contre moins de 20% des Bloquistes. Plus de Bloquistes semblent donc être passés au NPD tardivement, après que les sondages aient indiqué la progression du NPD, puisque, au final, les trois partis apparaissent avoir perdu environ le tiers de leur électorat de 2008 au profit du NPD. La volonté de changement est invoquée par le tiers des transfuges, ce qui est attendu. Au-delà de cette volonté toutefois, ils sont à peu près aussi nombreux (10% à14% pour chaque raison) à expliquer leur vote par une appréciation du chef du NPD, par les idées du parti et par une approche critique de l’utilité du Bloc. Les commentaires font état d’un ras-le-bol des propos négatifs et de la “chicane”, de l’impression de tourner en rond, d’une appréciation de la campagne positive menée par le NPD, d’une perception de Jack Layton comme près des gens “ordinaires” et de leurs préoccupations. Seuls 7% ont fait état d’une volonté de “bloquer Harper” et 3% ont mentionné le candidat (contre 10% chez les stables et les autres).

Qui sont donc ces transfuges qui sont passés au NPD? On aurait pu croire que ce sont les jeunes qui ont décidé d’aller voter. Les données de l’échantillon -- rappelons qu'il s'agit de volontaires internautes qui peuvent avoir des caractéristiques spécifiques -- tendent à montrer qu’il n’en est rien. Les 55 à 64 ans, cette première génération des baby boomers, semble encore mener le bal puisque c’est dans ce groupe que se retrouve la plus grande proportion de transfuges et d’électeurs NPD. Les jeunes quant à eux se caractérisent surtout par la non-participation et l’indécision.

Et les sondages?

Plus des trois quarts des répondants affirment avoir vu ou lu des sondages durant la campagne et les deux tiers des répondants affirment que les sondages sont une assez bonne chose (50%) et même une très bonne chose (13%) pour les électeurs. Ces résultats sont similaires à ceux d’autres analyses que nous avons effectuées dans les élections précédentes. Parmi ceux qui ont lu les sondages, 25 pour cent estiment que ces derniers ont influencé leur décision, la rendant soit plus facile (17%) ou plus difficile (8%) à prendre. C’est particulièrement le cas pour ceux qui ont finalement voté pour le NPD – ils sont 28% à dire que les sondages ont rendu leur décision plus facile à prendre – et pour ceux qui ont voté pour le Parti Libéral, qui considèrent quand à eux que les sondages ont rendu leur décision plus difficile à prendre (24%). En résumé, le vote pour le Parti Conservateur et pour le Bloc semble avoir été plus basé sur les convictions alors que celui pour le NPD ou le PLC était plus stratégique et lié à la campagne elle-même.

Et la souveraineté?

Dans l’échantillon, plus du tiers des répondants (41% de ceux qui se prononcent) disent qu’ils voteraient Oui à un référendum sur la souveraineté alors que près de 20% disent qu’ils annuleraient, qu’ils ne savent pas comment ils voteraient ou refusent de répondre. Le tiers seulement de ceux qui disent qu’ils voteraient Oui à un éventuel référendum affirment avoir voté Bloc, un autre tiers affirme ne pas être allé voter et près de un sur quatre affirme avoir voté NPD. Si on croise le vote déclaré aux élections provinciales de 2008 avec le vote fédéral de 2011, il ressort que la moitié de ceux qui disent avoir voté pour le Parti Québécois a voté Bloc et un tiers a voté NPD comparativement à 38% de ceux qui disent avoir voté pour le PLQ et 45% de ceux qui disent avoir voté pour l’ADQ. Le quart de ceux qui disent avoir voté pour le PLQ disent avoir voté pour le PLC et le quart de ceux qui disent avoir voté pour l’ADQ disent avoir voté pour le PCC.

En conclusion, les résultats font apparaître ce que certains appellent une volatilité de l’électorat, moins forte dans l’électorat souverainiste, mais quand même très présente. Les raisons invoquées pour expliquer le vote nous informent sur le fait que les électeurs peuvent avoir des raisons variées de voter pour un parti. Les idées du parti et les candidats présentés constituent une part minime des principales raisons mentionnées. La question nationale constitue un enjeu majeur pour expliquer le vote pour le Bloc mais pour l’ensemble des autres électeurs, la volonté de changement ou de stabilité, le chef et le type de campagne menés ainsi que la volonté de bloquer, soit le Bloc, soit le parti Conservateur sont autant de motivations qui peuvent permettre de comprendre que l’on passe, par exemple, du parti Conservateur ou de l’ADQ au NPD ou que l’on vote pour un candidat inconnu.